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Cuisine - Dimanche 24 janvier 2021 |
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Introduction et généralités
De l'épopée du Roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde à Thierry la fronde, en passant par Merlin, de nombreux auteurs ont réinventé le moyen âge. Bien sur, la cuisine médiévale n'échappe pas à cette règle. Les erreurs d'interprétations ont pour origine le milieu du XVIIIème, période où l'on commence à s'intéresser aux cuisines des siècles précédents. Tout comme l'historien va dénigrer cette période de dix siècles en la réduisant en deux mots, le «Moyen Age», les premiers antiquaires culinaires vont faire de même. Cette mentalité n'a que peu évoluée. L'étude de la cuisine ancienne dans les écoles de cuisine ne fait que survoler les cuisines romaines, médiévales et renaissance pour commencer au XVIIIème siècle. Plus marquant encore, nos critiques gastronomiques ont une méconnaissance flagrante de l'étendue des cuisines anciennes, alors que la plupart des grands chefs admettent quelle est la source de notre cuisine traditionnelle et gastronomique.
Mais il est vrai que de nos jours, la facilité et les faux-semblants prennent aisément le pas sur l'originalité et «l'authenticité» (mot d'ailleurs allègrement galvaudé dans la restauration). Ainsi, depuis quelques années, on sert des «repas médiévaux», des «banquets moyenâgeux» et autres «festins de Taillevent», où les aberrations côtoient les anachronismes, où l'ajout de gingembre et de poivre font d'un poulet rôti un met du médiéval et où l'Ypocras n'est qu'un vulgaire vin à la cannelle. Ces méconnaissances, pour ne pas dire tromperies sont amplifiées par quelques écrits qui, «pour simplifier», font d'un bourbelier un vulgaire civet ou remplacent le précieux verjus par un commun vinaigre (1). ![]() extrait du Taccuinum sanitatis, fin du XIVè siècle. La cuisine médiévale est une cuisine de goût, de saveurs et de couleurs. S'il existe une différence fondamentale dans l'alimentation des nobles et des paysans, des laïques et des religieux, des ruraux et des urbains, on constate que certains points communs résident dans les goûts de tous. Tout d'abord l'attrait des épices. A cette époque, on nomme épice tout ingrédient qui modifie ou améliore un plat; le poivre, le safran, le clou de girofle, mais aussi les amandes, l'oignon ou le sucre. Mais, fondamentalement, se sont le gingembre, le safran, les cannelles (cannelle ou synamone) et le clou de girofle qui restent les épices les plus utilisés. ![]() Tracatabus de Herbis, XVè siècle. Ces épices, que l'on utilise déjà à l'époque romaine vont à la fois servir à agrémenter un plat, mais aussi à marquer un statut social. Par exemple, le poivre, épice chère mais courante, va disparaître des ingrédients destinés aux tables royales, au profit du poivre long et de la graine de paradis, plus lointaines et plus onéreuse. Les épices entrent dans la composition de tous les plats, y compris certains «desserts», tartres de pommes(2) du Viandier de Taillevent ou fraisée, gâteau aux fraises et au safran, tiré d'un manuscrit anglo-normand. On agrémente aussi certains vins d'épices; le fameux Ypocras utilise selon le Ménagier de Paris ou le Viandier de cinq à sept épices différentes. Mais l'utilisation des épices se fait de manière très étudiée; Non pas comme on pourrait le croire, pour «masquer le début de putréfaction des mets», mais réellement par goût; pour preuve, la précision avec laquelle les rédacteurs des ouvrages que nous connaissons à ce jour décrivent les épices utilisées, voire les quantités. Toutes ces épices vont, harmonieusement mélangées, donner une saveur précise à chaque plat. ![]() Tracatabus de Herbis, XVè siècle. La cuisine médiévale offre les mélanges de saveurs les plus élaborés. Si aujourd'hui, la cuisine «toute prête» ne nous donne le choix que dans deux saveurs, le salé ou le sucré (l'amertume et l'acidité ne pouvant convenir à un panel suffisant d'individus), ou pire la mono-saveur de la restauration rapide (viande salée mélangée à du ketchup légèrement sucrée), notre palais et notre langue savent reconnaître aisément les quatre saveurs. Quant à la gastronomie médiévale, elle nous donne le choix entre huit, voire neuf saveurs, chacune d'elle étant dédoublée. Par exemple, lorsque l'on incorpore à un plat du sucre, on obtient une saveur sucrée, alors que lorsqu'on ajoute du miel on obtient une saveur suave. On a donc deux fois quatre égale huit saveurs, la neuvième étant l'âcre ou saveur poivrée. Enfin, le cuisine médiévale est une cuisine de couleurs. Chaque sauce, chaque met doit avoir une couleur qui permet son identification. Le blanc s'obtient avec les aulx (pluriel du mot ail, NDLR) ou le gingembre,
le jaune grâce aux ufs ou au safran, le vert par l'adjonction d'herbes, le tournesol donne le rouge, car comme tout bon cuisinier, les queux de bouche de l'époque cherchent aussi le plaisir des yeux. La cuisine médiévale n'est pas comme le pensait Le Grand d'Aussy, une «...multiplicité rebutante de ragoûts, qui n'étaient différenciés que par les noms bizarres qui leur étaient assignés...», mais véritablement une gastronomie élaborée car, que l'on soit rustres ou grand seigneur, clerc ou bourgeois, le bien-manger fait partie intégrante de la vie, de la fête et du plaisir de vivre. Olivier Smadja
(2) "Tartres de pommes" extraite de l'édition du XVe siècle : |
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