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Magazine - Samedi 16 février 2019 |
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Autour des reliques et de leur commerce
Le culte des reliques (du latin reliquiae «restes») se rencontre dans toutes les religions, ou presque. Dans l'Eglise chrétienne, il est aussi ancien que le culte des saints qui a connu son apogée au Moyen Age. L'homme médiéval pensait que pour atteindre Dieu, jugé trop lointain, il fallait se tourner vers les saints, afin qu'ils intercèdent en sa faveur et qu'ils le protègent. Certains d'entre eux ont été considérés comme doués de pouvoirs thaumaturgiques, (du grec thama, -atos «prodige» et ergon «oeuvre»), ayant donc le pouvoir de faire des miracles. Le contact avec le saint était remplacé, après sa mort, par le toucher de ses reliques, pour prolonger le don de guérison au-delà des limites de la vie terrestre. Si, de son vivant, le saint n'était pas encore une relique à proprement parler, il était certaines fois traité comme tel par le fidèle qui venait l'implorer. On raconte que Syméon Stylite le Jeune distribuait, en guises d'eulogies ou de protections à ses visiteurs, ses poils et il existait alors, dans le monastère où il se tenait, une pièce qui leur était réservée ! Les vêtements de certains moines avaient des vertus prophylactiques, vertus miraculeuses vivement prisées après leur disparition. On se souvient des saints rois , en France et en Angleterre, qui, à partir du XIIè siècle pouvaient guérir les écrouelles (ou scrofule), inflammation tuberculeuse des ganglions du cou. Saint Louis aurait ainsi touché des scrofuleux tous les jours... ![]() Louis VI le Gros fut le premier roi à toucher les écrouelles Image du XIXè siècle
Les reliques «indirectes» se devaient d'être les plus importantes dans le cas du Christ et de la Vierge Marie, l'Ascension et l'Assomption impliquant que leur corps entier a été élevé au Ciel. Ceci n'empêcha pourtant pas de voir circuler des choses tout à fait surprenantes, comme des cordons ombilicaux ou des prépuces du Christ, ses dents de lait ou encore ses saintes larmes. Le Lait de la Vierge eut une importance considérable, comme on le note plus loin. Devant l'impuissance de la médecine, notamment en cas d'épidémie, l'homme médiéval avait recours aux reliques. Dans ce domaine, l'espérance et la foi étaient si grandes que le malade atteint de troubles mentaux ou en proie à une forte fièvre buvait du vin ou de l'eau dans lesquels on avait pris soin de plonger la relique. Ces liquides salvateurs étaient généralement nommés des vinages. Il était aussi vivement recommandé de dormir près du tombeau ou près des reliques d'un saint (pratique ancienne déjà observées dans les sanctuaires de l'Orient chrétien) ; la guérison devant intervenir durant le sommeil. On a souvent parlé dans le haut Moyen Age «d'invasion du merveilleux», voire même de «fléchissement de l'intelligence». Des études récentes, s'appuyant sur des textes de l'époque, démontrent pourtant que tous n'ont pas été crédules et les hagiographes de rappeler que nombre de saints thaumaturges étaient souvent victimes de detractio, c'est-à-dire du «dénigrement». Des guérisons miraculeuses et des résurrections furent à constater. Elles concernaient principalement des paralytiques (paralysies ou incapacités motrices, les malades sont alors dits «contractés»), des aveugles (cécité ou affection des yeux), des sourds-muets (surdité, mutité et affections auriculaires) ainsi que des malades victimes de troubles mentaux. Ces miracles furent très tôt perçus comme des manifestations extraordinaires, des signes divins puisqu'ils rappelaient l'oeuvre de Jésus. De nos jours le rationalisme empêche souvent d'accepter et de croire aux pouvoirs miraculeux des reliques. Au Moyen Age, tout était bien différent. La vie des hommes était centrée autour de la religion, et le miracle, qui se produisait, était le signe évident que le saint continuait à veiller sur ses fidèles. Alors une frénésie s'empara du bon peuple, chacun voulait coûte que coûte posséder une relique, gage de protection permanente. Inévitablement, le commerce qui s'ensuivit, dégénéra en un odieux trafic, profitant à beaucoup et pas uniquement à l'Eglise (qui fit malgré tout de ce culte l'un des fondements de son autorité).
Le soutien, moral et physique, procuré par les reliques devint si évident que, bien vite églises, abbayes et monastères se lancèrent dans une quête où l'intérêt économique se mêla à la foi religieuse. Un monastère possédant une relique fameuse devenait en peu de temps le centre d'attraction des pèlerins qui pouvaient l'enrichir de leurs aumônes... Les religieux s'adressèrent tout d'abord à Rome pour obtenir des «morceaux» des martyrs, mais force est de constater qu'il était souvent plus facile de se tourner vers des «marchands professionnels», à l'honnêteté plus que douteuse. Devant un tel succès ces centres de piété eurent rapidement à faire face aux vols, car une fois canonisé, on s'empressait d'aller piller le tombeau du saint pour en débiter sa sainte dépouille. Les reliques les plus prisées étaient bien sûr celles qui rappelaient la vie de Jésus :
Parmi les curiosités les plus marquantes, on constate d'une part qu'une petite église près de Blois conservait jalousement le han ! poussé par Joseph lorsqu'il coupait du bois. D'autre part Agrippa d'Aubigné, poète protestant à la langue acerbe, rapporte que durant les guerres de Religions les huguennots brisèrent à Périgueux une fiole renfermant ... un éternuement du Saint-Esprit !
L'esprit moqueur du XIXè siècle n'est pas loin : les historiens qui étudièrent le Moyen Age mirent souvent en évidence la naïveté de l'époque, mais c'était oublier les attaques (les plus sérieuses) proférées par Claude de Turin (IXè siècle) ou encore Guibert de Nogent (XIIè siècle). Ce dernier, moine originaire de Picardie, né aux alentours de 1053, composa vers 1119 De pignoribus sanctorum, sorte de réponse aux moines de Saint-Médard de Soissons qui se targuaient d'avoir en leur possession une dent du Christ. L'auteur montre combien il était difficile d'être vigilant. Finalement assaillies par le doute, les autorités ecclésiastiques se mirent à attester l'authenticité des pieux restes. On plaçait à cet effet des authentiques (authenticae), des petites bandelettes de parchemin qui servaient à identifier la relique. Le IVè concile de Latran interdit alors d'ouvrir châsses et reliquaires. Habituellement, et en dehors des célébrations exceptionnelles (processions dans la ville, translations), les reliquaires étaient, par souci de protection, soigneusement enfermés dans des chapelles, des pièces particulières ou dans des niches peu accessibles. Ce commerce, un des plus prospère du XIè au XIIIè siècle, a touché toute la population à tel point que tout le monde trafiquait: les Juifs avaient leur réseau international, les Croisés s'enrichissaient de la vente de vestiges sacrés, mais ce sont les orfèvres qui finirent par encourager ce négoce, réalisant de purs chefs-d'oeuvre. Car, pour protéger ces vénérables vestiges rien n'était trop beau ni trop luxueux. On fit confectionner de somptueuses châsses et des reliquaires de toute beauté. Les premières formes de reliquaires pouvant contenir l'intégralité du corps saint auraient été des tombeaux (châsse), c'est le morcellement qui a entraîné la création de reliquaires proprement dits et mobiles... à la différence de la Sainte-Chapelle de Paris bâtie par saint Louis. Cette dernière fut conçue pour abriter les reliques de la Passion rapportées de Syrie et de Constantinople. Véritable reliquaire (fixe) renfermant principalement la Couronne d'Epines, mais aussi :
Les reliquaires furent des oeuvres d'art richement décorées dont on prenait grand soin. ![]() Charlemagne et Constantin IV, empereur de Byzance, vénérant la sainte Couronne. (FR 2813) fol. 108 Grandes Chroniques de France France, Paris, XIVe s. Des événements comme le fut la réception des ossements des Rois Mages à Cologne en 1164 devaient se dérouler sous l?autorité de l'évêque et en grande pompe, mais là aussi on connaît des cas de translations «secrètes» ; certains moines, pour augmenter leurs maigres ressources vendaient en cachette des reliques appartenant à leur monastère. Eliabeth Féghali (*) Cette conclusion, quelque peu brutale et hâtive, fait de la relique la plus célèbre une pure création du Moyen Age... Des tests au carbone 14 effectués en 1988 par trois laboratoires indépendants, situaient les origines du Linceul de Turin entre 1268 et 1390 : en plein coeur du Moyen Age. Ces résultats, qu'il faut interpréter avec prudence, interdisaient toute éventuelle attribution de cette longue pièce de lin au Christ. Mais, si la question de son authenticité se pose toujours, je conseillerai au lecteur curieux de consulter l'ouvrage d'Odile Cellier Le signe du Linceul : le saint Suaire de Turin, de la relique à l'image, Paris, 1992. Dictionnaire encyclopédique du Moyen Age 2 volumes [1 - A à K] et [2 - L à Z], Editions du Cerf, Paris 1997. LES RELIQUES GAUTHIER (Marie-Madelaine) Les routes de la foi. Reliques et reliquaires de Jérusalem à Compostelle, Paris, Bibliothèque des Arts, 1983. MARIGNAN Le culte des saints sous les Mérovingiens. Formation coutumière d'un droit., Klincksieck, 1975. VAN DER ESSEN (Léon) Le siècle des saints, Bruxelles, 1943. VAUCHEZ (A.) La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Age, d'après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1981. VAUCHEZ (A.) La spiritualité du Moyen Age occidental, P.U.F., 1975. |
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