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Magazine - Dimanche 24 janvier 2021 |
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Merlin, Morgane et Arthur de Michel Rio
Merlin, Morgane et Arthur de Michel Rio
C’est sur ces belles mais amères pensées que s’ouvre Merlin de Michel Rio. Un écrivain peu médiatisé en France mais qui mérite tout l’intérêt des lecteurs en général et des amoureux du cycle arthurien en particulier ! Né en Bretagne en 1945, c’est à Madagascar qu’il passe son enfance et à Paris qu’il s’est installé. Il écrit depuis 1982 et s’est vu décerner de nombreuses récompenses littéraires, dont le prix Médicis. Sa trentaine d’ouvrages, du dialogue philosophique au roman policier, est traduite dans de nombreuses langues et son œuvre est étudiée aux Etats-Unis. Je privilégierai naturellement ici sa trilogie Merlin (1989), Morgane (1999) et Arthur (2001), qui constitue un apport original au corpus de textes préexistants. Une incursion dans la Matière de Bretagne que Michel Rio présente dans la postface de Merlin (éditions du Seuil, 1989) comme une "trahison illimitée" : on verra en effet qu’il s’est emparé de l’univers arthurien, issu de sources diverses, parfois fragmentaires et contradictoires, afin d’en expurger les éléments fabuleux et mettre à nu les êtres humains. Il a replacé en outre le récit dans son contexte historique, celui des cinquième et sixième siècles. Peut-être cette initiative a-t-elle eu quelque influence sur la genèse du Roi Arthur , film d’Antoine Fuqua sorti en 2004 ? Quoiqu’il en soit, Michel Rio n’invoque pas d’improbables "chevaliers Sarmates" :
Comment a-t-il concrétisé cet objectif à travers sa trilogie ? Quel intérêt constitue-t-elle pour les lecteurs familiers de cet univers, au delà de péripéties déjà bien connues ?
Le premier roman s’ouvre sur un monologue d’un Merlin centenaire, confronté à l’anéantissement de son projet utopique : l’instauration en Grande Bretagne et en Bretagne d’un royaume juste et imprégné des valeurs philosophiques les plus élevées, dans un monde où règne la loi du plus fort. Ce prologue confère des accents de tragédie au récit qui suit, l’aventure arthurienne étant vouée à l’échec dès ses origines. Entre ses trois dates principales, Rio a bâti une chronologie des événements inhabituellement claire dans des récits des chevaliers de la Table Ronde. Cette précision culmine avec un tableau détaillant tous les grands événements et la date de naissance de chacun des protagonistes, "projet apparent d’historien mettant de l’ordre dans le chaos littéraire, projet en réalité d’écrivain comblant par l’imaginaire les silences de l’histoire". Il s’agit pour Michel Rio de "montrer comment une histoire sans magie aucune sert de terreau à la légende opérant une interprétation merveilleuse des faits" (2 id. p169). En lieu et place d’un univers aux contours traditionnellement assez flous, Michel Rio mêle aussi la geste arthurienne à l’histoire mondiale. Lors du premier discours d’Arthur en tant que roi à la mort de Uther, il est écrit :
De même lit-on dans Morgane que la maîtresse d’Avalon :
Le tableau chronologique de l’auteur se double en fin d’ouvrage par une carte très détaillée de la Bretagne et de l’Angleterre, faisant apparaître tous les territoires sous l’influence du royaume de Logres. Les descriptions géographiques et physiques précises abondent dans la trilogie :
L’organisation de ses armées est aussi explicite qu’un compte rendu militaire romain. Michel Rio use même des mesures romaines pour parfaire son illusion de réalisme (jamais l’île d’Avalon décrite dans le roman Morgane n’a été aussi détaillée !).
II Le traitement des personnages arthuriens par Michel Rio Ce parti pris de réalisme au détriment du merveilleux attendu touche aussi les différents protagonistes. Le narrateur au début de Merlin n’est pas un magicien immortel, fils du Diable et d’une vierge mais un très vieux sage dont les origines vont être enfin révélées... Arthur n’est pas présenté à ses sujets en sortant Excalibur de la pierre mais grâce aux manœuvres politiques de Merlin. D’ailleurs, l’épée du roi n’est jamais nommée, elle n’est qu’un instrument efficace dans la main d’un grand guerrier, doublé d’un chef avisé et éduqué mais tourmenté par sa passion pour Morgane. Cette dernière n‘est plus une sorcière assoiffée de sang mais une enfant surdouée qui devient une femme visionnaire et charismatique, bien en avance sur son temps. Son amour-haine pour son demi frère Arthur est le moteur de ses premières actions. Dans la trilogie de Michel Rio, en effet, point de superstition ni de religion, qu’elle soit celtique ou chrétienne. C’est en l’homme qu’il faut croire, comme le montre le vibrant discours de Merlin devant les nouveaux chevaliers de la Table Ronde à Carduel :
On pourra opposer cette intervention à celle, plus spirituelle, d’Arthur :
Une déclaration dans l’esprit de Chrétien de Troyes mais qui se voit critiquée plus tard par Morgane :
Il ne s’agit pas là du charabia d’un méchant caricatural avec lequel l’auteur prendrait tout naturellement ses distances. Pour preuve le premier cours de Merlin à la jeune Morgane :
On comprend ici que Michel Rio renverse les points de vue sur le monde arthurien de Chrétien de Troyes pour qui la nouvelle religion était lumière sur un monde archaïque et païen : elle devient dans la trilogie une chape de plomb sur la liberté de l’esprit humain inspiré par les penseurs de l’antiquité. Ce sont Merlin et Morgane qui sont les esprits les plus modernes des trois romans, préfigurant les scientifiques de notre époque. Ainsi rappelle Morgane :
Ainsi, Morgane s’affranchit après quelques années d’études acharnées de la tutelle de Merlin et part créer avec des fidèles sa propre société idéale, au Val sans Retour puis à Avalon, aboutissement au point de vue économique, à la pointe des connaissances agricoles, médicales et architecturales. Une sorte d’îlot de raison dans une mer de barbarie (si l’on excepte le royaume de Logres). Personnage nuancé cependant, elle dispense la vie (elle seule a les connaissances médicinales pour sauver ses fidèles) et la mort à tout intrus dans on domaine... Chez Michel Rio, les relations très fortes entre Merlin, Arthur et Morgane ont une conséquence directe : les personnages de Lancelot et Guenièvre font pâle figure à côté. Le tableau de la reine est tout de même frappant : elle est consciente dès le départ de l’amour entre Arthur et sa demi sœur :
Si elle souffre d’un mariage qui la condamne aux apparences, Guenièvre n’est pas mièvre :
Plus tard, c’est elle qui prend l’initiative de séduire Lancelot, plus jeune qu’elle de vingt ans :
Le personnage de Mordred est aussi intéressant. Michel Rio en fait un chevalier d’exception, le premier serviteur de la Table Ronde mais aussi un fanatique, prêt à mettre toute l’Europe à feu et à sang pour imposer le projet de société initié par Merlin : "Mordred n’est pas un traître, dit Arthur. Il est pire. C’est un illuminé qui voit en tous des traîtres en puissance" (Arthur, p.129) Le parti pris d’écrire une trilogie a offert à Michel Rio l’occasion de peindre ses personnages de façon plus complexe. Les motivations de Morgane restent par exemple assez obscures dans Merlin et elle gagne en humanité dans le volume qui lui est consacré. Du point de vue du style, les trois œuvres ont leur identité car Merlin est écrit à la première personne du singulier, tandis que Morgane et Arthur sont rédigés à la troisième personne. Si cette trilogie se montre surtout pleine d’intérêt grâce à son point de vue original sur ses protagonistes, elle n’en offre pas moins de très belles pages dans les scènes les plus attendues. Afin de vous donner plus envie de lire l’œuvre de Michel Rio, je terminerais mon article sur le tableau de l’ultime bataille du monde arthurien :
Shimrod Notes : 1 Postface d’Arthur, p.168, tirée d’un article publié dans le Magazine littéraire, décembre 1999 |
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